NY Times

le renard qui attend que la poule tombe reste affamé

Aux infos françaises le tour de France est plus présent que la Grèce et sa crise. Les pauvres chutent… Ouille ça fait mal une chute de vélo… Mais « qui est tombé du char de la Fortune, jamais ne pourra y remonter » (Zweig, 24h de la vie d’une femme)

Les Grecs ici attendent, sont derrière leurs postes de télé ou de radio. Ils savent que quoiqu’il arrive désormais leur été est perdu. La question est désormais pour eux celle de l’instabilité. Désabusé, qu’il retourne à la Drachme ou reste dans l’Euro, le Grec de la rue ne veut qu’une chose : savoir ! Savoir que sa dignité, sa fierté sont respectées, mais aussi savoir ce qu’il en sera de demain, et s’ils seront mangés par les ogres de l’histoire ou s’ils pourront recommencer à manger comme des ogres. Sachant que quoiqu’il arrive le Grec de la rue trouvera une pirouette pour se conforter dans sa fierté. Oui, mais voilà… Il en faut bien plus.

Il faut savoir qu’ici cette crise lancée par le référendum a plongé les amis, les familles, dans des disputes importantes. Certains ne se parlent plus, d’autres se sont fâchés à mort. Ici chaque dispute peut déboucher sur une malédiction sur 7 générations. Après tout la tragédie grecque fut créée ici… Et ça, ils le savent. Car s’ils avaient pu/su se provoquer en duel ils l’auraient fait. Car en somme, qu’en est il ici ? Et bien les retraités sont ruinés, ils n’ont plus rien. Ils survivent de la solidarité familiale, les cousines de la montagne envoyant leurs excédents alimentaires à leurs cousines de la ville. Pour les plus riches, ils arrivent à s’en sortir c’est sur, mais il ne faut pas croire qu’ils ne sont pas atteints. Avec le gel de leurs avoirs, c’est aussi le gel de leur capacité de dépense qui est en danger. Ceux qui sont dans le superflu font aussi vivre en faisant circuler leur argent ceux qui sont dans le besoin. Je ne porte aucun jugement moral sur ceux qui ont et encore moins sur ceux qui n’ont pas.

Non l’espoir pour l’heure est que Tsipras puisse proposer les réformes fiscales et sociales, dont ce pays, à Besoin. Créer une véritable administration fiscale avec des pouvoirs coercitifs encadrés par la loi, et surveiller par l’Europe s’il le faut. Mettre en place toute une série de mesures qui aillent dans le sens de la justice sociale. Car en somme c’est aussi de cela que les Grecs ont besoin. De voir que les riches paient aussi, qu’ils ne font pas que dépenser. Sous prétexte de craindre la fuite des capitaux du pays, les plus riches n’ont pas été taxés sur leurs biens propres ou sur leurs revenus. Les armateurs ne paient que l’impôt sur les sociétés. Mais c’est un faux argument, car c’est près de 15 milliards d’Euros par an que ce pays perd, ou par évasion, ou par fraude. La toute puissante Église orthodoxe, dont le rôle fut fondamental dans la création de l’État grec, et du mythe de la Grèce Blanche, auquel ils croient encore pour beaucoup qu’ils ne peuvent même pas historiciser sans risquer de voir les composants d’affiliation de leurs identités nationales se désagréger, ne paie pas d’impôt. Elle prétexte manquer de liquidité, mais déjà cet argument n’est pas valable pour avoir assister à des processions de moines et popes orthodoxes dans des banques, quand elles étaient ouvertes, entrer dans les succursales de banques et en ressortir avec les sacs vides. Je doute qu’ils vinssent y apporter leurs numéros aphimi (numéro fiscal grec, si on n’en a pas, on ne peut RIEN faire…) Sauf si on est pope bien sûr ! Mais surtout il lui suffirait de vendre un ou deux biens pour en avoir… cela s’appelle justement monétiser un bien…

Car voilà, l’Europe sans la Grèce ne sera plus l’Europe. La Grèce sans l’Europe ne sera qu’une petite république des Balkan où le grand frère orthodoxe du nouvel empire de Putin n’aura plus qu’à cueillir cette fleur qu’il a toujours cherché à avoir dans sa collection. Car il ne faut pas oublier que la Grèce c’est le morceau d’Europe dans les Balkan, cette région qui a si souvent déclenché des conflits mondiaux. C’est aussi la frontière entre des mondes romains, byzantins, orthodoxes et musulmans. Et si l’Europe échoue, c’est alors un échec plus que cuisant. Je ne parle pas des conséquences économiques, mais bien des conséquences politiques qui en découleront, puis des conséquences sociales. Dire non à la Grèce c’est dire non au projet européen et à la monnaie, pour ne proposer en somme qu’un pal système à taux fixe. Mais plus avant c’est dire non à l’ « Orient de l’Europe » ( Delorme, 2013) à un moment de notre histoire où justement la question Orientale est au cœur même de processus massifs. Plus avant dire non à l’orient, c’est se couper d’une partie de nos origines, et les conséquences psychologiques de telles pratiques sont bien connues des chercheurs, mais c’est aussi proposer un repli sur soi. Car l’Europe sans la Grèce deviendrait une Europe sans son Orient, une Europe qui n’aurait plus que son nombril pour se regarder et s’y fouler le petit doigt. Si l’Europe ne sait pas parler à sa partie orientale, comment le pourrait-elle avec le Levant ou plus avant la Perse ou l’Irak ? Car la Grèce a aussi un rôle à jouer, un grand rôle le jour où elle acceptera son histoire elle pourra être le renouveau d’une Europe capable de parler à l’occident et à l’orient, et sera capable d’adresser au monde un message clair et audible. Mais pour cela l’Europe made in Bruxelles doit se rendre compte de l’importance de ce petit pays, de 2% du PIB, qui est malade oui, mais on ne coupe pas la main de son enfant quand son doigt est infecté ! On le soigne et on supporte son ingratitude, car l’Europe est appelée à bien plus encore qu’à ces querelles économiques.

Enfin il est temps également que l’Europe made in Bruxelles retrouve son rapport à la réalité, son ancrage diraient certains, et se souvienne que l’économie est subordonnée au politique et non l’inverse. Vous aurez beau faire de belles équations projectives, si le politique n’est pas là, il n’y a pas d’économie possible, et je ne parle pas en terme marxiste des rapports qu’entretiennent suavement la superstructure et l’infrastructure… Alors oui comme l’écrivait Edward Saïd, l’Orient est un construit de l’Occident, qui a intégré les valeurs de cet occident, au point de trouver un discours de violence légitime au sens bourdieusien du terme. Et justement c’est bien tout cela que la crise grecque nous rappelle. C’est qu’à force de construire artificiellement des abstractions, ces dernières deviennent des schèmes de pensées dont il est difficile de s’extraire. Mais enfin il est aussi important de rappeler aux Grecs la sagesse des antiques, pour qui « le renard qui attend que la poule tombe reste affamé ». Il faut alors que l’action soit mutuelle et coordonnées. Pour ma part je ne peux qu’adhérer à l’un de mes ouvrages de chevet, et conclure en laissant la parole à un empereur a qui un auteur de génie a fait dire « tout ce que les hommes ont dit de mieux l’a été en grec » … ancien… et quid des Contemporains ?